L'œuvre de la nature est bien plus difficile à comprendre que le livre d'un poète – Léonardo Da Vinci
Les hurlements de l’hermine sur le point de mettre bas emplissent le manoir des Danteli. Son époux, lui aussi un hybride hermine, fait les cent pas dans le couloir. Les médecins l’ont mis dehors le temps d’aider son époux à mettre au monde son enfant.
La famille Danteli, de génération en génération, est une famille très ancienne Venicienne d’hybrides hermine purs. Jamais le sang humain ou le sang d’une autre race hybride n’est venu souiller cette famille. Ils sont pour préserver la pureté de leur lignée, mais ils ne font pas dans la consanguinité. Ils ne se marient pas non plus par amour, cela vient avec le temps. Mais en général, les parents cherchent un bon parti, hybride hermine, et organisent un mariage arrangé.
C’est ce qui est arrivé à ces deux futurs parents. Mais eux se fichent de « la pureté de la lignée ». Ils ne veulent pas que leur futur enfant soit aussi victime d’un mariage arrangé. C’est la raison pour laquelle ils le laisseront libre de ses choix.
Finalement, le moment tant attendu par le couple arrive. Mais à leur plus grand étonnement, ce ne sont pas les pleurs de un, mais de deux enfants qui se font entendre. Les deux hermines ont eu de beaux jumeaux en pleine santé.
Comment ne l'ont-ils jamais remarqué ? Simplement parce qu'à chaque examen, l'un des deux enfants cachait l'autre, ce qui faisait que les médecins furent toujours persuadés qu'il n'y avait qu'un seul bébé.
L'expérience prouve que celui qui n'a jamais confiance en personne ne sera jamais déçu – Léonardo Da Vinci
J’aimerai être plus comme toi Lorenzo.Léonardo, comment peux-tu dire de telles choses en me souriant aussi innocemment ? Et pourquoi veux-tu me ressembler ? Tu es la pureté incarnée, et moi le mal. Je déteste les humains, et toi, tu aimes tout le monde. Nous n’avons que dix ans, et je prends déjà un malin plaisir à battre nos esclaves, alors que toi tu les cajoles, tu leur donne à manger…
Pourquoi veux-tu me ressembler Léonardo ?Encore ton sourire, si étincelant, si innocent… ce sourire qui m’exaspère par moments, mais qui me réchauffe le cœur aussi… Je ne te comprends pas… je ne comprends pas le monde utopique dans lequel tu vis… nous sommes jumeaux pourtant… alors pourquoi je ne parviens pas à comprendre ? C’est frustrant…
Parce que tu es fort et courageux. Tu as de quoi protéger ceux qui te sont chers. Moi je suis faible, et naïf…Je souriais en venant ébouriffer la chevelure blanche de mon frère. Il était si fragile, aussi délicat qu’une fleur. Je le prenais dans mes bras et le berçais tendrement.
Tu n’as pas à me ressembler Léo, tu es parfait tel que tu es.Il me sourit à nouveau. Je regardais son carnet pour voir un dessin de moi de dos. Il avait un don… un don du ciel. Il savait capter la beauté de ce monde pour la retranscrire sur le papier. J’admirais son talent… autant que je l’enviais. Moi je n’avais aucun don… contrairement à lui… C’était injuste… Nous étions jumeaux ! Alors pourquoi n’avais-je aucun don ? Pourquoi étais-je si… ordinaire ?
Les détails font la perfection, et la perfection n'est pas un détail – Léonardo Da Vinci
Léonardo ?Je descendais les marches du manoir pour me jeter au coup de mon jumeau, avant de m’écarter en poussant un petit cri.
L… L… Léo ? M… Mais que t’est-il arrivé ?Il était sur le seuil de la porte, souriant niaisement comme à son habitude, son carnet de croquis et un crayon sous le bras. Mais il était tout sale… et complètement nu… Mon idiot de frère se massa la nuque, souriant encore.
Je suis passé par le quartier pauvre pour trouver de l’inspiration… beaucoup de gens faisaient la manche alors je leur ai donné tout mon argent. Mais des brigands me sont tombés dessus en me demandant des richesses que je n’avais plus, alors je leur ai donné tous mes vêtements ! C’était une bonne action n’est ce pas ?Je soupirais, désespéré. Tu es beaucoup trop gentil Léo, tu le sais ça ? Tu le sais n’est ce pas ? Que cette gentillesse et cette pureté te conduiront à ta perte ? Je me dois de te protéger… tu es tellement naïf que tu te feras encore avoir… encore et toujours. Le pire, c’est que ça te rend heureux. Un rien te rend heureux.
Je te prenais par la main et t’emmenais à la salle de bain, juste avant d’aller te chercher d’autres vêtements. Je te regarde te laver, j’admire ton corps si frêle, mais en même temps légèrement musclé… ce corps magnifique. Je sais que mes sentiments vont au-delà de l’amour entre frères que nous sommes censés avoir… Je sais que c’est mal de penser à toi comme ça, je sais que c’est mal de t’aimer comme ça… Un nouveau soupire s’échappa de mes lèvres.
Léo, je te pose tes vêtements là.Tu te retournais et me souriais, toujours de manière innocente et pure. Je m’asseyais à côté de la baignoire, te rendant ton sourire en venant écarter une mèche immaculée de ton front. Tu es si beau… c’est presque un crime d’être aussi mignon…
Nous avons toujours été ensemble… lorsque nous étions enfants, nous nous amusions à deviner ce à quoi pensait l’autre. Notre enfance était heureuse et banale, nous étions aimés de nos parents… mais nous étions tellement différents, nous le sommes encore. Là où tu es frêle, moi je suis fort, tu es petit, moi grand. Tu as les cheveux longs, moi j’ai décidé de les porter courts… tu es la gentillesse incarnée, et moi le mal. Mon amour pour toi me consume petit à petit, et tu ne t’en rends même pas compte.
Quand nous sommes nous éloignés à ce point ? Léo, quand ai-je commencé à prendre mes distances avec toi ? Au point de te faire partir de la maison… Car c’est bien à cause de moi que tu pars seul avec ton carnet à dessins, pendant plusieurs jours voire semaines avant de revenir à la maison… n’est-ce pas ?
Il est vrai que j’ai commencé à mal tourner à l’école, à ne pas supporter que d’autres t’approchent et te touchent. Je ne veux pas que l’on souille ton âme… et pourtant, c’est moi le plus dangereux de tous. Léo… tu es malade, depuis toujours tu es malade… incapable de te mettre en colère ou d’être mauvais. Tu n’as aucun défaut qui soit grave. Tu es juste naïf… c’est pour cela que tout le monde vient autour de toi… tous se servent de toi, mais tu te complais là-dedans…
Ton retour en est la preuve. Tu as donné tout ce que tu possédais à des étrangers, sans t’inquiéter pour toi. Ils auraient pu te faire du mal, mais tu n’y as même pas pensé… tu ne vois que le bien… Je t’envie Léo, je t’envie presque autant que je t’aime…
Hmm… Dis Lorenzo… que dirais-tu si je quittais définitivement le manoir ?La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir - Léonardo Da Vinci
Je te regardais sans comprendre… Léo… était-ce une plaisanterie ? Tu comptais réellement quitter le manoir ? Pourquoi ? T… Sommes-nous si différents que cela ? Ai-je été si… blessant ? Pourquoi dis-tu cela Léo ?
Tu sais Lorenzo… j’ai trouvé ma voie en voyageant un peu autour du monde. Comme tu me l’as conseillé à la fin du lycée, j’ai décidé de devenir peintre. Après tout, je n’ai jamais été très doué pour les études contrairement à toi. C’est un miracle que je n’ai jamais redoublé et que j’ai eu mes diplômes. Mon seul talent, c’est la peinture, et plusieurs de mes toiles ont déjà été vendues, à un endroit qui s'appelle Bryule. J’en ai déjà parlé à nos parents, ils sont d’accord et m’ont déjà ouvert un compte en banque et trouvé un appartement là-bas… il ne me manque plus que ta bénédiction… Mais je ne savais pas comment te le dire…Je t’écoutais, et je te comprenais au fond… Tu as besoin de voler de tes propres ailes, chose dont je serai incapable. Au fond, tu es bien plus courageux que moi. J’ai peur du monde extérieur, contrairement à toi qui t’y lance sans réfléchir. Ressens-tu seulement la peur Léo ? Tu es un véritable mystère, même pour moi, ton jumeau. Je soupirais doucement, avant de te sourire.
Tu as ma bénédiction, mon très cher frère. Tu l’auras toujours, quels que soient tes choix.Je savais que je te laissais partir pour toujours… Mais… je t’aime, alors je te laisserai partir… Je veux juste que tu sois heureux… je veux continuer de te voir sourire béatement comme tu en as l’habitude... et pour cela, tu dois partir dans un autre pays…
Tu serrais ma main avant de sortir de l’eau pour te sécher. Tu t’habillais, et m’offrais une nouvelle fois ton sourire niais. Je me levais et te serrais fortement dans mes bras… tu allais partir, et moi, j’allais rester tout seul au manoir…
Toute connaissance commence par les sentiments - Léonardo da Vinci
Cher Lorenzo,
Cela fait maintenant un an que j’ai quitté le manoir familial, et plus précisément l'Italie, vous laissant, nos parents et toi derrière moi. Nous avons déjà vingt-et-un ans… Comment vas-tu ? As-tu changé ? Sûrement… autant physiquement que psychologiquement. Pour ma part, je n’ai absolument pas changé, toujours le même.
Tu me manques Lorenzo… énormément. Mais je ne peux pas encore revenir au manoir pour vous saluer tous les trois. C’est trop tôt, je n’ai pas encore terminé ce que je devais faire. Quelque chose me retient, ou plutôt, quelqu’un. Ne sois pas jaloux, s’il te plait. Mais voilà, il y a une semaine, j’ai découvert une seconde muse, la première étant toi.
Il s’appelle Luciel, c’est un bel hybride lapin bélier. Ses oreilles sont si mignonnes ! Et toutes douces ! Comment nous sommes nous rencontrés ? Comme d’habitude, j’ai donné tout ce que j’avais à des gens dans le besoin. Je m’étais donc retrouvé qu’avec mon chevalet et de quoi peindre dans le quartier riche où nos parents m’ont payé l’appartement. Evidemment, tu me connais, j’avais aussi perdu mes clefs…
Et j’ai croisé Luciel, qui m’a interpelé. Il m’a « recueilli » et aidé. Il m’a accueilli chez lui, refaisant faire les serrures de mon appartement. Je ne suis pas retourné tout de suite chez moi, j’avais envie de le peindre… son physique m’inspirait… il m’inspire encore. Je n’ai pas cessé de le peindre. Et aujourd’hui, je suis retourné chez moi. Je souffre beaucoup de ne plus être aux côtés de Luciel… Mon cœur semble se déchirer.
Que m’arrive-t-il ? Mio Fratello, mon très cher frère… sais-tu ce qui peut bien m’arriver ? Je suis perdu… sans Luciel je ne sais plus quoi faire… je suis complètement perdu…
***
Cher Lorenzo,
Aujourd’hui, Luciel et moi avons fait le grand saut, nous sortons ensemble. Depuis notre première rencontre, il y a deux ans, nous n’avons pas cessé de nous revoir, des rendez-vous plus ou moins romantiques.
Ne crois pas que j’ai arrêté d’aider les autres sans faire attention à moi, au contraire… d’ailleurs, pourquoi me méfier ? Je n’ai aucune raison de le faire, tout le monde est gentil. Et Luciel m’aime comme je suis…
J’ai un peu peur Lorenzo… M’engager ainsi… je suppose que ça ne peut qu’être bénéfique pour moi. Au moins, je ne souffre plus de la séparation… je suis presque tout le temps avec Luciel... alors je vais vraiment bien.
Et toi Lorenzo ? Quoi de nouveau ? Toi aussi tu vas bien ?
***
Cher Lorenzo,
Cela fait maintenant cinq ans que je t’ai présenté Luciel, cinq ans que lui et moi sommes en couple. Le temps passe vite… tellement vite. Je ne l’ai même pas vu passer en fait. Je continue de peindre, mes toiles se vendent comme des petits pains. J’en offre aussi, la dernière fois, j’en ai offert une à un vieil homme qui avait perdu son époux récemment. Il me l’a décrit, et je lui ai fait un tableau d’eux deux. Il en a pleuré de joie. J’étais tellement heureux de lui apporter du baume au cœur.
Je me demande si Luciel et moi serons ensemble jusqu’à la mort… Sans doute. Après tout, je vis déjà chez lui, mon appartement est revendu, ses parents semblent m’aimer et les nôtres l’adorent. J’aimerai le demander en mariage, mais je n’ose pas. Nous sommes déjà très bien ensemble, comme ça, le mariage pourrait-il nous porter préjudice ? Je n’en sais rien… et je ne préfère pas y penser.
Pour l’instant, je vis ma vie à fond, j’en profite, avec mon copain, et avec toi.
J’espère que tu me soutiendras toujours Lorenzo, je t’aime
Léonardo.